Entretien en confinement : Camille Lopato, fondatrice de Diversion cinema
En ces temps de confinement, NewImages Festival donne la parole à ses amis et partenaires. Pour comprendre et accompagner l’aventure intime et professionnelle de celles et ceux qui façonnent les nouvelles images, et pour traverser ensemble cette période charnière.
“Depuis la création du mot VR, il n’y a pas de repos pour nous : nous sommes constamment en train de nous réinventer, donc très bien armés pour rebondir après cet épisode !”
Pouvez vous présenter Diversion cinema et votre activité en quelques mots ?
Nous avons créé Diversion cinema [1] il y a quatre ans avec mon frère, Marc Lopato. Nous nous sommes spécialisés dans la diffusion de programmes VR en tant que prestataires pour des festivals et des sociétés qui veulent créer des espaces de réalité virtuelle et montrer des œuvres VR.
Il y a deux ans, à notre grand bonheur, nous avons ouvert un département de distribution d’œuvres immersives. Nous organisons leur promotion internationale en festivals, et leur commercialisation dans des lieux physiques, en LBE (Location Based Entertainment) et sur les plateformes en ligne.
Nous avons également commencé à réfléchir à d’autres façons de présenter au public des œuvres immersives au sens large. L’année dernière à NewImages Festival, nous avons rencontré des artistes qui présentaient des créations virtuelles participatives avec d’autres outils que les masques. Propulser le visiteur dans un autre monde ne nécessite pas forcément un masque VR et toute la technologie qui s’y rapporte – cela nous a paru très intéressant.
Qu’est-ce que le confinement a changé concrètement pour vous ?
L’exposition Ayahuasca, l’exposition chamanique [2] que nous avons créée autour de l’oeuvre Ayahuasca Kosmik Journey de Jan Kounen, (produit par Atlas V, a_Bahn et Small) a été lancée pendant l’IDFA DocLab [3] en novembre dernier. Elle doit être présentée en Belgique et à Taïwan cette année, mais étant donné ce qu’il se passe, certaines dates ont dû être reportées.
bande-annonce de l’œuvre Ayahuasca Kosmik Journey © Atlas V, a_Bahn / Small | distribution Diversion cinema
Nous sommes une société principalement événementielle qui n’a plus d’événements. De fait, ça a dégagé du temps à tout le monde. On avait quelques projets dans le fond de notre panier, dont on ne prenait jamais vraiment le temps de s’occuper. Nous avons maintenant l’opportunité de nous en saisir, de faire avancer les choses et c’est extrêmement motivant.
Nos réunions en ligne sont devenues plus longues, parce que nous avons envie de passer un peu de temps ensemble. On se laisse aller à raconter nos aventures de confinement, ça devient un moment de convivialité qui nous inscrit dans nos vies : on a l’opportunité de découvrir une autre facette des membres de l’équipe.
Parmi les outils et usages actuels, lesquels vous ont le plus convaincus et donné envie ?
Nous avons pu nous promener sur les plateformes de réalité virtuelle – la social VR, comme on dit – pour découvrir ce qu’elles font et ce que nous pourrions en faire du point purement business mais aussi d’un point de vue artistique. Nous avons fait quelques réunions dans VRChat [4], Mozilla Hub [5], Rec Room [6], qui fonctionnent très bien. Ce sont des environnements ludiques, et y rester concentrés n’est pas si simple ! Mais une fois qu’on y arrive, on a une conversation vraiment chouette.
En ce moment, les festivals proposent une partie ou la totalité de leur événement en ligne, pour que chaque intervenant puisse tirer profit de ce pour quoi est fait un festival : rencontrer des gens, trouver des synergies et faire en sorte que les choses avancent. Par exemple, pour le festival CPH:DOX [7] pour lequel je devais me rendre à Copenhague mi-mars et où finalement la rencontre physique n’a pas eu lieu, une rencontre virtuelle a été organisée, qui nous a énormément apporté. Je trouve cela remarquable : bien organisées, ces rencontres virtuelles permettent de garder l’énergie des équipes, alertes et mobilisées.
Bien que nous travaillions dans le virtuel et que ce soit notre quotidien, il est extrêmement plaisant de voir à quel point les outils sont prêts aujourd’hui pour pouvoir organiser ces collaborations. Il y a à la fois un côté ludique et sérieux, on peut véritablement avoir des échanges. Ce qui m’a vraiment épatée, c’est à quel point le son est bien traité, avec la spatialisation des différents éléments. A l’intérieur même de ces plateformes il y a des outils très intéressants, riches et amusants, qui permettent la personnalisation des espaces et des interactions et qui pourraient faire naître des œuvres d’art participatives et immersives !
Le confinement vous inspire de nouvelles pistes de travail ?
Voir les choses à travers le prisme de Diversion cinema et de notre activité est intéressant, mais je pense que cette crise nous touche tous au plus profond de notre humanité. C’est à travers ces transformations lentes et profondes que vont se redéfinir dans les mois qui viennent la façon qu’on a de travailler et ce qu’on peut donner à voir au public. On est appelés à avoir une réflexion beaucoup plus profonde sur – attention, ça va être un peu “cheesy” ce que je vais dire – sur le sens même qu’on peut donner à notre vie et à notre action. Non pas simplement : “Est-ce que je vais mettre un masque / Est ce-que je ne vais plus mettre de masque” mais, de façon générale “Qu’est ce que je veux pouvoir proposer à mes spectateurs ?”
Pensez-vous que le contexte actuel va inscrire la VR de plus en plus loin des espaces physiques ?
Ce dont on se rend tous compte, c’est à quel point les autres, et même la foule, nous manquent. On a juste envie d’être avec des gens et de se sentir ensemble, même sans rien avoir à se dire. Quel plaisir aussi de se retrouver, de vivre des choses à plusieurs et de partager son enthousiasme de façon directe ! Il y aura toujours cette nécessité d’être ensemble, je ne pense pas que ça va changer, que ce soit pour la VR ou pour d’autres contenus audiovisuels.
En revanche, il va y avoir – et à juste titre – beaucoup plus d’interrogations sur l’hygiène. Chez Diversion cinema, on a toujours fait tous les efforts nécessaires pour que chaque personne qui se sert d’un masque ait un matériel propre. Il faut accentuer cela, et peut-être même mettre en scène ces gestes que nous faisons, de façon à ce que nos spectateurs soient rassurés.
Qu’est-ce qui vous donne de l’énergie et du plaisir au travail en ce moment ?
Comme je le disais, Diversion cinema, n’a plus d’événements actuellement, nous avons toutes les raisons du monde pour être complètement déprimés… et ça bosse ! Les membres de l’équipe ont des idées et s’emparent de choses depuis leur salon, avec le laptop sur les genoux. Ils viennent avec de nouveaux projets et on crée quelque chose. Nous sommes extrêmement chanceux d’avoir de telles personnalités, de telles envies et motivations dans l’équipe.
Quand nous avons quitté le bureau le dernier soir, chacun avec nos ordinateurs portables, nos masques et nos grigris, et qu’on a dit « au revoir » au bureau, nous nous sommes lancé un défi : nous allons rentrer dans une période de confinement dont nous ne savons pas grand chose, mais quand nous reviendrons, que ce soit dans quinze jours, un mois ou quatre, nous serons différents et nous aurons inventé des choses…
Du temps, c’est la chose la plus précieuse qu’on puisse avoir. Combien de fois dans notre vie on peut avoir ce temps ? Ça n’arrive jamais ! Il faut en prendre absolument le meilleur. Quel plaisir de voir que dans l’équipe on prend vraiment ce temps à bras le corps et qu’on le met à profit !
De quoi avez-vous besoin pour que votre travail se passe au mieux pendant cette période ?
Ce dont j’aurais besoin, c’est d’un peu de sérénité concernant les aspects financiers. Il faut voir comment la fin du confinement se passe : si tous les événements sont annulés jusqu’au nouveau NewImages Festival, fin septembre, ça va devenir compliqué pour nous.
Je me dis qu’on va réussir à se retourner. Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation et je ne crois pas que les pouvoirs publics laisseront mourir toutes les TPE et PME de France à cette occasion. Je suis persuadée qu’ils trouveront de quoi nous faire tenir jusqu’à ce que nos activités reprennent, sous la forme précédente ou sous une nouvelle forme.
Avez-vous un message pour la communauté XR ?
Nous avons la chance de travailler avec une technologie et dans un monde, l’industrie VR, extrêmement changeants. Depuis la création du mot VR, il n’y a pas de repos pour nous : nous sommes constamment en train de nous réinventer, donc très bien armés pour rebondir après cet épisode ! De l’artistique jusqu’aux lieux qui accueillent des festivals, nous sommes constamment sollicités pour réfléchir, innover, redécouvrir et se lancer des défis à tous niveaux. Dans ce contexte, nous sommes mieux lotis que les autres.
NOTES & HYPERLIENS
[1] le site de Diversion cinema est accessible en ligne ici
[2] le site dédié de l’exposition Ayahuasca, l’exposition chamanique est accessible en ligne ici
[3] la section DocLab du festival IDFA est accessible en ligne ici
[4] la plateforme VRChat est accessible en ligne ici
[5] la plateforme Mozilla Hubs est accessible en ligne ici
[6] la plateforme Rec Room est accessible en ligne ici
[7] le festival CPH:DOX est accessible en ligne ici