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BlackRhino VR : le futur de la réalité virtuelle au Kenya

15 décembre 2020

BlackRhino VR* est une entreprise que nous voulions rencontrer depuis longtemps ! En effet, c’est la première startup africaine sur la réalité virtuelle dont nous avions entendu parler. Leurs créations en réalité virtuelle semblaient singulières, puissantes et réussies. À Nairobi, c’était donc une étape incontournable.

Article initialement publié le 21 janvier 2020 sur UXmmersive.

*BlackRhino VR est une agence XR spécialisée dans la création de solutions de réalité virtuelle et de réalité augmentée sur-mesure et de contenus pertinents pour le marché africain.

Nous avons pu échanger avec Brian Afande et Joyce Kanze Nzovu, respectivement co-fondateur du studio et chef de projets. Au programme de cet échange :  les succès de l’entreprise, les spécificités de la production en réalité virtuelle au Kenya, la vision du futur de la réalité virtuelle sur le continent africain, et quelques contes pour terminer !

— BlackRhino VR, en quelques mots, c’est quoi ?

Brian : Nous avons créé l’entreprise en 2015, avec Michael Ilako, avec une volonté de raconter des histoires différemment et à destination du marché africain. Nous avons commencé avec de la vidéo 360 et désormais nous travaillons sur des technologies immersives en tout genre : réalité virtuelle, augmentée, hologrammes, etc. Aujourd’hui, nous sommes 13 personnes, avec une énorme volonté de créer des expériences immersives accessibles à tous et qui exploitent notre héritage culturel.

L’équipe de BlackRhino VR | Crédits : BlackRhino VR

— Quelles sont vos créations phares ?

Joyce : The Forgotten Ones. C’est un format très simple, sans fioritures, mais c’est quelque chose d’impactant et chargé d’émotions ! Et puis ce sont sur des sujets qui, moi, me touchent (ndrl : l’environnement et la sauvegarde des habitats naturels).

Et puis il y a aussi Le Lac ! Nous avons réussi à combiner un ensemble de technologies entre des tournages en 360, des éléments en CGI, du storytelling immersif. C’est vraiment un exemple du potentiel de la réalité virtuelle. En termes de production, c’était un casse-tête mais le résultat est très réussi !

— Qu’est-ce qui change dans vos créations par rapport à ce que vous pouvez voir aux Amériques, en Europe ou en Asie ?

Brian : Nos cultures sont très différentes. Forcément les histoires que nous avons envie de raconter sont donc différentes de ce que l’on peut voir ailleurs.

Nous avons des manières de penser différentes. Par exemple, nos croyances. Elles ne sont pas seulement dans les dieux. Mais aussi dans ce qui nous entoure. Tout est habité par un esprit. Alors dans certains de nos contenus, on personnifie certaines représentations, comme par exemple le projet en réalité augmentée pour la pièce de théâtre Lwanda Magere à Nairobi.

Nous avons un énorme lien avec les animaux. La plupart des gens qui vivent à Nairobi viennent de villages partout au Kenya. La nature joue donc un rôle important. Avec l’urbanisation, certains espaces sont détruits, d’autres sont bétonnés. Certaines de nos productions mettent donc l’accent sur cette richesse que nous perdons, et au-delà, avec l’envie de faire bouger les choses. C’est typiquement ce que nous voulions montrer avec Le Lac.

Par ailleurs, les histoires ont un rôle très important. Vous avez des gens qui ne sont jamais allés à l’école, mais qui ont des compétences incroyables, parce qu’elles se sont transmises à l’oral, par leurs parents, en swahili. C’est donc important aussi de ne pas créer que des contenus en anglais, et de jouer sur des personnages qui vont vous parler directement, à l’oral.

En fait, on se doit de raconter des histoires nouvelles, modernes, tout en conservant l’authenticité de notre culture et en l’affirmant plus que jamais. C’est très important pour les futures générations d’avoir ce rôle-là.

— Et comment arrivez-vous à conjuguer tradition et modernité au-delà de vos productions ?

Brian : Par exemple, nous avons créé le Moran Storylab, qui vise à former les jeunes à la narration immersive en utilisant la technologie.

Chaque année, nous accompagnons des étudiants gratuitement, à condition qu’ils aient une formation en cinématographie, pour qu’ils deviennent de futurs créateurs. En soi, c’est déjà quelque chose d’assez nouveau ! Le business model est assez nouveau ici. Mais ce n’est pas le seul point.

Moran, ça veut dire « garçon » en Maasaï. C’est un peuple très important dans la culture kényane. Mais en fait, on s’est aussi rendu compte qu’il y avait très peu de développeuses. Du coup nous avons plutôt orienté la formation vers les femmes. Et aujourd’hui, ce sont six femmes qui sont accompagnées. Nous avons gardé le nom en référence aux Maasaï, mais réorienté vers le public le plus en demande !

— Pourquoi créer cette formation de la réalité virtuelle ?

Brian :  C’est très lié à notre stratégie long terme et surtout à ce que nous appelons ici notre mission en « 3-D ». Démocratiser, démystifier, déployer.

Nous avons une mission importante de rendre accessible les technologies immersives. C’est aujourd’hui très cher et très peu de personnes au Kenya et dans les autres pays africains peuvent se payer ces équipements. Il y a nécessité de s’appuyer sur l’existant, sur les réalités du marché et de trouver de nouveaux formats, façon low-tech, pour inclure ces publics.

Par ailleurs, il faut aussi beaucoup démystifier ce qu’est la réalité virtuelle. La première fois que j’ai montré un film en réalité virtuelle à ma grand-mère, elle a cru que c’était de la magie noire ! (rires). Nous réalisons beaucoup de hackathons, d’ateliers, de discussions et de journées portes ouvertes pour montrer que la réalité virtuelle, c’est aussi une opportunité, et montrer son potentiel.

Et puis il faut construire les infrastructures pour accompagner le développement de ces technologies. Cela signifie créer les bons outils hardware. Par exemple, créer des casques de réalité virtuelle qui correspondent aux marchés africains. Des casques qui fonctionnent avec tout type de téléphone, car ici tout se fait via le mobile, et pas seulement une marque (ndrl. le Gear VR d’Oculus ne fonctionnait qu’avec des téléphones Samsung). Et puis créer aussi des nouveaux business pour attirer des créateurs de contenus et les rétribuer à leur juste valeur. Nous créons en ce moment des plateformes de partages de shooting en réalité virtuelle pour que tout le monde puisse les acheter et rétribuer les créateurs. Les plateformes doivent être ouvertes et inclusives.

— Aujourd’hui l’équipement en casques est plutôt faible… La démocratisation de la réalité virtuelle avance mais semble toujours compliquée. Comment y remédier ? 

Brian : Il faut s’appuyer sur les grands groupes. Ils ont un rôle important dans la démocratisation des technologies. Ce sont eux qui ont des capacités d’investissements qui leur permettent d’acheter du matériel, ensuite de le mettre à dispositions du grand public et de pousser ces nouveaux usages.

Et puis, ce sont avec eux que nous pouvons imaginer de nouvelles incitations pour découvrir la réalité virtuelle. Par exemple, au Kenya, la plupart des télécoms proposent un accès illimité à Whatsapp. C’est gratuit dans votre package de données. On pourrait imaginer la même chose pour des productions en réalité virtuelle dans un premier temps.

— Et concrètement, le futur de la réalité virtuelle en Afrique, il passera par quoi ?

Brian : Cela passera forcément par adapter le hardware pour des téléphones. En Afrique, cela passera par le mobile. Les casques seront encore chers pendant un moment.  Et ok, le cardboard ce n’est pas cher, mais ce n’est pas bon et l’expérience n’est pas agréable. Résultat, les utilisateurs pensent que la VR n’est pas si intéressante que ça, alors que c’est le dispositif qui est mauvais. Il faut penser à comment avoir accès à du contenu immersif même sans réalité virtuelle. En Afrique du Sud, Eden Labs fait des choses formidables !

— Et côté contenu, les productions locales vont-elles enfin s’affirmer ?

Joyce : On ne peut plus se contenter de contenus créés à l’étranger. Les cultures africaines sont riches, les univers aussi, et il nous faut recréer des projets africains.

Brian : l’effet Wakanda, ça a boosté tout le monde ici ! Oui, Black Panther, ici c’est Wakanda (rires). Beaucoup d’africains qui vivent ailleurs, sont souvent assez loin de leurs racines. Ça a donné envie à beaucoup d’explorer à nouveaux des traditions et de se rapprocher de leur culture d’origine.

En fait, ça montre l’Afrique sous un nouveau jour, avec de nouveaux rôles, modernes et comme potentiellement à la pointe de la technologie. Et sur certains points, BlackRhino VR n’a pas à rougir des productions en Europe ou aux Etats-Unis. Forcément, c’est positif et ça donne plein d’idées et d’énergies.

— L’écosystème est-il en place, prêt pour pouvoir créer ces productions plus ambitieuses, locales et qui toucheront plus de monde ?

Brian : Les studios répondent présents. De nombreuses startups ont des projets formidables. Il nous manque cependant des entités qui rassemblent ces entreprises africaines pour pouvoir les organiser et démontrer leur valeur aux pouvoirs publics.

Dans le même temps, on se doit aussi de créer de la confiance avec des entreprises européennes, asiatiques ou américaines pour voir comment nos coopérations peuvent ouvrir la voie à de nouvelles expérimentations ! Créer un écosystème, ça ne se fait pas du jour au lendemain !

— D’ailleurs, les récompenses internationales prouvent qu’aujourd’hui que BlackRhino a sa place dans un écosystème international de la réalité virtuelle !

Brian : Nous avons fait partie des six créateurs sélectionnés par VR for Good d’Oculus il y a quelques années ! C’était fantastique et nous étions la seule entreprise africaine.

Le co-fondateur Michael Ilako travaillant sur le projet de tournage avec son équipement pour VR for Good (par Oculus) au Cap, Afrique du Sud en 2018.

En novembre dernier, nous avons remporté le prix du meilleur projet à impact social lors du salon Virtuality Paris (ndrl : pour le film The Forgotten Ones).

Et puis nous avons aussi participé au Google Daydream ! Là, nous avons été recalés (rires) ! Mais pas parce que notre contenu était mauvais, mais parce qu’il était trop politique. C’est normal, au Kenya les discussions sont politiques ! Mais nous étions la seule entreprise africaine à avoir candidaté. On leur a donc demandé de nous donner notre chance pour produire un autre type de contenu, et cela a marché ! Nous avons tourné un film sur les cours de danse classique dans les bidonvilles de Nairobi.

Évidemment tous ces projets vous confortent dans l’idée que vous participez à ce qui fera le succès de la réalité virtuelle demain !

— Vous serez probablement source d’inspiration pour demain. Mais vous, vos inspirations au quotidien, c’est quoi ?

Brian : Aux États-Unis, il y avait le Chief Scientist d’Oculus, Michael Habrash, qui lors d’une conférence sur la réalité virtuelle avait déclaré : « peu importe ce que vous créez, demain, ce sera “le bon vieux temps” »… En fait, nous sommes encore très libres de créer ce que l’on veut dans cet univers et d’en définir les règles. C’est compliqué, et le marché n’évolue pas autant qu’on l’aurait souhaité. Mais il nous appartient de le construire, d’en définir les contours et de pousser ces opportunités auxquelles nous croyons !

Joyce : L’équipe, très clairement ! Je suis arrivée ici, avec un regard très académique, sans rien connaître à la réalité virtuelle. Mais j’apprends chaque jour, on bouge ensemble, on est très créatifs et clairement ça me donne de l’énergie chaque jour.

Un article proposé en partenariat avec

UXmmersive est le média francophone co-fondé par Charlotte-Amélie Veaux et Yann Garreau qui partage, analyse et décrypte le monde des expériences immersives et ses tendances.

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